mercredi 9 août 2017

Itinéraire d'un Médecin de la fin du 20è siècle

Itinéraire d'un Médecin de la fin du 20è siècle

Le baccalauréat
Ma scolarité en troisième et en seconde fut très perturbée par les événements d’Algérie. Mon bulletin de seconde ne comportait aucune note  et je fus  simplement admis à passer en 1ère  S . Je quittai  définitivement l’Algérie avec mes parents le 26 mai 1962 et devins ce qu’on  a appelé par la suite un rapatrié.
Mes parents m’avaient inscrit au lycée de Saint-Germain-en-Laye où l’accueil fut loin d’être chaleureux  pour ne pas dire franchement hostile. Il y  avait un climat anti-pied-noir et anti-juif avec  d’une part la France conservatrice et réactionnaire dans ce qu’elle avait de pire  et d’autre part les militants de gauche plus ou moins affiliés au parti communiste qui nous considéraient comme des colonialistes. Le proviseur avait eu la délicate attention de ne faire rentrer les rapatriés que dix jours après la rentrée scolaire si bien que tous les groupes de travaux pratiques étaient déjà constitués et que je me retrouvai  seul au fond de la salle. Il refusa mon inscription en tant que demi-pensionnaire ,m’obligeant ainsi à prendre mes repas , un sandwich le plus souvent, seul sur un banc, dans le grand parc de Saint-Germain au cours de l’hiver 1962- 1963 qui fut particulièrement rigoureux .La neige avait tenu plusieurs semaines et les températures étaient glaciales. Ma scolarité  très irrégulière des deux années précédentes en Algérie avait entrainé de grosses lacunes et mes efforts du premier trimestre n’ aboutirent qu’ à un avertissement général .  Pourtant mes notes étaient plutôt moyennes et bien des élèves avaient des résultats inférieurs aux miens.  Cette sanction qui m’avait paru et qui me paraît encore aujourd’hui profondément injuste  et même discriminatoire, m’affecta beaucoup car j’étais  jusque là plutôt habitué  aux félicitations du conseil de discipline.
Lorsque je parvenais  à la fin de la classe de  première à résoudre certains problèmes un peu compliqués, le professeur de mathématiques me sanctionnait systématiquement affirmant que j’avais à l’évidence triché, étant d’après lui incapable de trouver ce type de solutions. Il n’avait pas compris ou n’avait pas voulu comprendre que j’étais pratiquement passé de la quatrième à la première  et que j’étais parvenu  seul en quelques semaines à combler la plupart de mes lacunes.
Je rappelle cet épisode car cet avertissement me fût finalement très salutaire ; il m’a poussé à travailler sans cesse et à viser l’excellence  dans tout ce que j’ai entrepris dans le demi-siècle qui a suivi.
En juin 1963, malgré les avis défavorables de tous mes professeurs, je décrochai mon premier bac dans sa version la plus sélective ( bac C : sciences ,latin). Je fus  la dernière génération à passer le bac en deux parties.
En 1963 je fus admis dans la  classe de Sciences Expérimentales (Sciences Ex comme on disait alors) du lycée Condorcet. Le milieu était plus ouvert , plus cosmopolite avec des professeurs de qualité.  J’obtins les encouragements  dès la fin du premier trimestre et le bac  avec mention bien  à la fin de l’année  avec 19/20 en mathématiques et 17/20 en physique.

Les années de fac
En 1964 , j’entrepris avec enthousiasme mes études de  médecine . Mon père était un excellent médecin, plein de bon sens et d’humanité, un  de mes cousins était  déjà Médecin des hôpitaux , un autre de mes cousins de 10 ans mon aîné, venait d’être reçu à l’internat des hôpitaux de Paris . Je m’étais fixé comme objectif déjà  à cette époque de réussir moi aussi ce concours très sélectif.
La première année de faculté intitulée CPEM (certificat préparatoire aux études médicales) se déroulait le premier semestre en faculté de sciences et le deuxième semestre en faculté de médecine. C’était une année difficile et très sélective pour éviter aux étudiants n’ayant pas le niveau suffisant  de s’engager dans des études  médicales réputées longues et difficiles.  Les matières enseignées étaient nombreuses : physique, chimie, statistiques, biologie animale, biologie cellulaire, biophysique, biochimie, histologie, embryologie. J’avais choisi de commencer mes études universitaires en m’inscrivant au CPEM  B , le plus dur bien sûr où enseignait un professeur de physique, Monsieur Blamont , brillantissime spécialiste d’astrophysique, pionnier de la politique spatiale française, directeur du centre national d’études spatiales et pour qui  enseigner à une classe de futurs médecins devait être une  sacrée corvée. Ce savant était très exigeant  , essayait dès le début de décourager le maximum d’étudiants , et avait pour spécialité le  zéro éliminatoire en physique. J’appréciais  beaucoup sa rigueur intellectuelle et vers la fin de l’année  nous échangions quelques mots à la fin du cours, ce qui était plutôt rare dans l’Université  encore très hiérarchisée de 1965. Nous avions fait une année de balistique et d’astrophysique  avec des problèmes qui à l’évidence dépassaient  largement notre niveau. Je m’étais permis de lui faire remarquer que nous n’avions que très peu abordé notre programme de physique qui comportait en particulier, pour de futurs médecins , de la dynamique des fluides, de l’optique, de l’électricité… Il me répondit que malheureusement nous n’en avions pas eu le temps . C’est finalement le Professeur de faculté qui m’a le plus marqué et j’en parle encore 50 ans après.
Une fois l’année de CPEM réussie ,la vie d’un étudiant en médecine était une course perpétuelle contre la montre. Nous avions un stage hospitalier le matin qui nous retenait de 8 heures jusqu’à souvent  13 ou 14 heures ; il n’était pas question de déjeuner et nous arrivions souvent en retard à la faculté pour les cours de l’après-midi. Après les cours, avaient lieu les travaux pratiques en particulier d’anatomie  qui se terminaient vers 19 heures . Après un bref diner  au restaurant universitaire, nous avions  2 fois par semaine des conférences pour préparer l’externat des hôpitaux, une conférence de médecine et une conférence de chirurgie.


Les années de concours
 Je fus nommé Externe des hôpitaux de Paris à 20 ans en 1967.Ce concours constituait la première étape d’une  carrière hospitalière  et permettait  d’obtenir un petit salaire. Ma première paye fut inférieure à 200 Francs, c’est-à-dire environ 30 € par mois pour une présence quotidienne de quatre heures à l’hôpital et des gardes de week-end et de nuit obligatoires. Je me mis immédiatement à préparer le concours d’internat avec acharnement. . J’ai eu la chance d’hériter  de mes parents d’un coefficient intellectuel correct mais malheureusement insuffisant pour  réussir sans travailler et j’ai donc toujours été un  affreux besogneux .  Le programme de l’internat était  très vaste et j’avais pris l’habitude de me coucher tôt pour me réveiller vers une heure du matin et travailler dans le calme toute la nuit. Lorsque je partais à l’hôpital vers huit heures du matin, j’avais déjà derrière moi sept heures de travail. Bien entendu pendant  toutes  ces années de préparation de l’externat et de l’internat, il n’était pas question de sortie , de cinéma ,de flirt ni de vacances ; c’était une vie monacale qui paraîtrait je crois insupportable aux jeunes actuels. J’ai été définitivement et complètement formaté par la  préparation des concours médicaux et actuellement encore, lorsque je suis confronté à un problème même non médical, je l’analyse et l’approfondis comme s’il s’agissait d’un problème complexe et vital et comme si toute ma carrière en dépendait.

Mai 1968
 J’étais tellement concentré sur mon travail que je n’ai pas  du tout compris l’importance de mai 68. En sortant des travaux pratiques de parasitologie  ,j’ai retrouvé ma petite voiture, une Dyane, au milieu d’une barricade ,rue  de Hautefeuille. Il y avait d’un côté les manifestants qui lançaient des pavés et de l’autre côté les CRS avec leur bouclier  prêts à charger. Je me suis protégé la tête avec mon cartable, dirigé vers la barricade et ai récupéré ma voiture. Je suis rentré chez moi et me suis remis au travail. Bien sûr à l’époque , beaucoup pensaient qu’ il n’y aurait plus d’examen, plus de concours et qu’au lit du malade,  l’avis d’un étudiant de première année  ou d’un aide-soignant équivalait celui d’un professeur chevronné. Le slogan était qu’il était interdit d’interdire. J’ai toujours pensé que même si  les concours disparaissaient , ce qui semblait plausible à cette époque se voulant révolutionnaire , la société aurait toujours besoin de médecins  compétents  et que continuer à étudier constituait   à long terme un investissement sûr. Très franchement je respectais mes professeurs, l’ordre établi et la hiérarchie aussi bien à l’université que dans les services hospitaliers .Je ne me suis  finalement que peu senti concerné par ce mouvement de contestation qui allait changer radicalement la France.

L’Internat
 Pour préparer le concours, j’avais pour principe de ne faire aucune impasse et de connaître parfaitement les questions classiques et sortables mais aussi les questions qui n’avaient que  très peu de chances d’être choisies.
En1969, j’atteignais mon objectif ,à mon premier concours et devenais à 22 ans Interne des hôpitaux de Paris. Je me souviens encore des questions de mon concours . En médecine : hyperparathyroïdie primaire(question très peu sortable) , en chirurgie : diagnostic des occlusions  du grêle, en biologie : aldostérone et en anatomie : veine rénale gauche .Une carrière  s’ouvrait maintenant à moi probablement hospitalière et brillante. Le concours de l’internat des hôpitaux de Paris était très sélectif .Il y avait 200 postes pour 2000 candidats, tous déjà Externes des hôpitaux .La plupart des candidats n’étaient nommés qu’au troisième ou quatrième concours. Ayant en plus un an d’avance dans mes études , je me retrouvais sensiblement plus jeune que la plupart de mes collègues.

L’assistance publique
À cette époque, à l’Assistance Publique de Paris, obtenir un titre, réussir un concours, signifiait que vous aviez la compétence technique pour affronter seul  certaines situations d’ urgences médicales. Nommé externe, je me trouvais en chirurgie infantile, confronté à toute la traumatologie et devais réaliser de nombreuses sutures parfois difficiles sans n’avoir jamais reçu la moindre formation technique. J’ai passé mon premier semestre d’internat à l’hôpital de Poissy en 1969  et lors de mes gardes je devais assurer seul  les urgences médicales d’adultes, d’enfants mais également de nouveau-nés et de prématurés.  Je me suis formé en voyant beaucoup de malades  mais globalement tout s’est relativement bien passé. De nos jours les internes sont beaucoup plus encadrés  et il y a toujours quelqu’un de plus expérimenté,  un assistant ou un senior prêt à les conseiller et à se déplacer.
 Après  ce premier semestre d’internat, j’ai résilié mon sursis pour faire  mon service militaire, ce qui me permettait en même temps de faire « vieillir » mon internat et d’obtenir ensuite au choix des postes plus intéressants. Ma formation militaire a eu lieu d’abord à la caserne  de Vincennes puis à l’école des officiers de santé de Libourne. J’ai  pu effectuer , grâce à mon classement de sortie, le reste de mon service militaire à l’hôpital du Val-de-Grâce puis à l’hôpital  Bégin  auprès de médecins de grande qualité. Mes supérieurs hiérarchiques m’appréciaient et me conseillaient vivement de poursuivre une carrière militaire.
 Au cours de mes années d’internat, j’ai eu  la possibilité de me spécialiser en cardiologie mais également de me former  à différentes spécialités de médecine interne. Il m’arrivait d’être de garde plusieurs jours par semaine  surtout   pendant les périodes de vacances d’été.
Après mon internat, j’ai  pu obtenir ,auprès du Professeur  Chiche ,un poste de chef de clinique .Mon patron était un médecin très brillant ,partageant son temps entre son service hospitalier, son importante clientèle privée et ses nombreuses conquêtes féminines.  Ces succès agaçaient ses pairs et il avait plus d’ennemis que d’amis. Nous avions beaucoup de complicité ; il me considérait comme son fils spirituel  et m’honorait  d’une confiance absolue.  J’avais à 28 ans carte blanche  pour diriger le service de  réanimation cardiaque  de l’hôpital Tenon. Ce poste de responsabilité était très prenant, m’obligeant à passer  dans mon service matin et soir tous les jours de l’année samedi et dimanche compris. Les  gardes étaient fréquentes ,s’enchaînaient et succédaient à des journées normales de travail. Être confronté à des situations multiples et souvent complexes était à la réflexion  un moyen de formation sans égal  que n’aura jamais  l’interne de 2015 qui bénéficie de 36 heures de récupération après une garde de nuit.
 J’ai travaillé, j’ai publié de nombreux articles, j’ai donné de nombreuses conférences, participé à des congrès nationaux et internationaux et je pensais parvenir à faire une carrière hospitalière. En 1978, j’ai été inscrit sur la liste d’aptitude aux fonctions  de professeurs agrégés de cardiologie. Tous les inscrits sur cette liste d’aptitude étaient en principe nommés professeurs agrégés .Le poste que j’espérais à Tenon ne s’est pas libéré. Certains me conseillaient la patience mais, sans certitude, je ne me voyais pas attendre, encore plusieurs années une hypothétique carrière hospitalière ; d’autres me proposaient de prendre  temporairement un poste à l’étranger( le poste de chef de service de cardiologie à l’hôpital de Kaboul était alors disponible) ou en province mais ma situation familiale ne me permettait pas de quitter Paris. Si cette nomination avait dépendu d’un autre concours  encore plus sélectif ,je m’y serais sans hésitation présenté  car j’avais encore l’époque une grande puissance de travail. Je me suis en fait rapidement rendu compte  que ces nominations ne dépendaient pas  seulement de la valeur du médecin mais aussi de relations  personnelles, d’échanges de services et d’influences politiques. Mon patron venait de prendre sa retraite et je n’avais aucun appui politique . J’ai donc décidé en 1979 de m’installer . Une petite annonce dans le Figaro  m’a permis de trouver en location au 53 Boulevard de Courcelles ,dans un hôtel particulier, un très beau local  où s’est déroulée toute ma carrière de clientèle privée.

L’évolution de la médecine
En 45 ans de pratique médicale,  j’ai assisté à la disparition de l’externat, de l’internat, des mandarins , de la médecine clinique et du médecin de famille La médecine a gagné en efficacité ce qu’elle a perdu en humanité .Mon père dans les années 50 pratiquait encore les accouchements à domicile. Au début de mes études médicales en 1964 ,les moyens de diagnostic étaient très  limités. Le scanner et l’I.R.M. n’existaient pas ; l’échographie, l’endoscopie digestive en étaient à leurs balbutiements . La pilule contraceptive n’était pas encore commercialisée et l’interruption volontaire de grossesse  a été interdite en France jusqu’en en 1975. Les antibiotiques arrivaient à contrôler la plupart des infections mais les médicaments dont nous disposions dans beaucoup de spécialités et en particulier en cardiologie avaient pour la plupart une efficacité très limitée. Il y avait encore à l’Assistance Publique des salles entières de tuberculeux, et les ostéomyélites étaient fréquentes dans les salles d’enfants .Les lits en soins intensifs étaient rares et en principe réservés à des patients encore jeunes . La première unité de soins intensifs en cardiologie n’a été créée qu’ en 1961. Beaucoup de patients avaient encore des séquelles de poliomyélite  ou étaient d’anciens blessés de guerre ;personne ne parlait du Sida ou de l’Alzheimer .


La clientèle
J’ai eu le privilège d’avoir une clientèle nombreuse ,très attachante et d’origine très diverse . J’ai soigné quelques célébrités de la politique et du spectacle ,des scientifiques et des médecins réputés mais aussi beaucoup de gens modestes . Je leur ai, je crois , accordé à tous la même attention . Face à la maladie , l’homme reste toujours cruellement désemparé et  souvent désarmé quels que soient son statut social, ses connaissances , ses convictions philosophiques ou religieuses.  
J’ai assisté  à la dégradation de l’image du médecin et à la désacralisation d’une profession qui  était jusque là très considérée. En quelques décennies, la société a complètement changé et la médecine est devenue un objet de consommation. Le médecin , craignant d’être mis en cause, doit aujourd’hui s’entourer de mille précautions, multiplier les examens complémentaires et suivre des protocoles. Les moyens modernes de communication entrainent une surinformation médicale souvent mal assimilée et l’expérience acquise doit s’effacer devant les performances de la dernière technique.
 J’ai toujours été très impressionné par les hommes de grande culture. Mon premier Maître, le Professeur Siguier, était le meilleur médecin interniste de son époque et malgré sa cécité , il avait un savoir encyclopédique débordant largement le domaine de la médecine. L’extrême spécialisation de la médecine me parait très déroutante pour les malades qui ,même s’ils bénéficient de soins de qualité, n’ont plus l’impression d’être réellement pris en charge. L’écoute, l’interrogatoire et l’examen clinique ne sont plus en vogue chez les jeunes médecins qui n’ont aucune idée de l’intensité de la relation pouvant se créer entre un médecin et son malade lors d’une auscultation très attentive ou d’un palper méticuleux.
J’ai vu mon premier malade chez le Professeur Siguier  le 3 octobre 1965 et ma dernière malade  à mon cabinet 45 ans plus tard le 26 juin 2010 . Je me suis efforcé d’être toujours disponible et espère avoir aidé certains de mes semblables.  J’ai beaucoup sacrifié ma vie personnelle et ma vie familiale à mes études et à mon travail. J’ai été très touché par la confiance que m’ont témoignée beaucoup de mes patients qui pour certains me sont restés fidèles  pendant plusieurs décennies mais assez curieusement j’ai raccroché mon stéthoscope sans beaucoup de regrets , un peu comme si j’avais déjà donné le meilleur de moi-même .

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